28 mars 2024
LES MOULINS A PAPIER AUTOUR DE GAN
par Jeanne VALOIS
Nous avions plusieurs fois accueilli Jean-Paul VALOIS pour nous parler des bastides au Moyen-âge ou de la photographie, deux sujets qu’il maitrise avec talent. Nous recevons aujourd’hui son épouse, Jeanne VALOIS qui vient d’écrire un livre sur « Les papetiers et leurs moulins ». Tous deux, adhérents de notre association vivent à Rébénacq qu’ils n’ont jamais cessé de mettre en valeur par leurs écrits et de nombreuses visites. On notera leur coopération à la réalisation des ouvrages suivants : « Rébénacq au fil de l’eau » en 2001, « Artisans d’autrefois à Rébénacq » et « Trois cents ans d’industrie à Rébénacq » en 2003, « Les hommes et leurs terres à Rébénacq » en 2005 et « Aux temps des Écoles » en 2008.
Si elle se défend d’être historienne, Jeanne VALOIS est passionnée par l’étude du passé. Cela se manifeste dans son engagement en paléographie dont elle assure des cours comme aussi dans l’exploitation continue des richesses possédées par les archives.
Pendant plusieurs années secrétaire de la Société des sciences, lettres et arts de Pau et du Béarn, elle a publié de nombreux articles dans sa revue comme aussi dans bien d’autres bulletins.
Apprenant qu’une papeterie a existé à Rébénacq à l’emplacement du fronton attenant à la Salle Palisse, Jeanne VALOIS en a établi une monographie ouvrant des horizons sur d’autres entreprises. De fil en aiguille, elle a reconstitué tout un tissu de papeteries ayant fonctionné en Béarn, Bigorre et Pays basque pendant plus de deux siècles. Elle nous propose ce soir de découvrir :
« LES MOULINS A PAPIER AUTOUR DE GAN ».
L’apparition de l’écriture conduit au besoin de conserver sa trace, d’abord sur l’argile, le papyrus ou le bambou essentiellement sur des supports légers favorisant la transmission des documents réalisés. Le papier élaboré à partir de chiffons apparaît ainsi en Europe dès le XIIe siècle. Les premières papeteries s’établissent dans ce qui deviendra la France au XIIIe siècle. C’est avec l’invention de l’imprimerie qu’en 1445 le papier devient indispensable à la diffusion des livres. L’alphabétisation de la population aux XVIIe et XVIIIe siècles amplifie encore la demande en papier. Livres scolaires et cahiers d’écoliers mais aussi cartons ou papiers d’emballage, affiches, papiers peints, papiers à cigarettes, créent des besoins toujours plus importants.
Confection artisanale des feuilles.
La projection d’une maquette réalisée par Pierre HOSPITAL dans le cadre du festival des vieux métiers en 1994 à Rébénacq et conservée actuellement en mairie permet de découvrir, en onze étapes toute la chaîne du traitement des chiffons pour obtenir du papier.
A la réception, les chiffons de lin sont débarrassés de leurs ourlets, coutures et boutons et triés suivant leur finesse et leur blancheur avant d’être lavés.
Dans une cave peu aérée, à température constante, les chiffons propres sont mis au pourrissoir pour décomposition des fibres pendant une à douze semaines. Cette étape n’existe plus de nos jours.
Au dérompoir, les tissus sont découpés en lanières de cinq centimètres de large et débarrassés des impuretés résiduelles.
Dans la salle des piles, trois sortes de marteaux munis de tranchants de fer tombent en alternance dans la pile, réduisant le tissu en pâte à papier. A la fin du XVIIIe siècle, les maillets sont abandonnés au profit de la pile hollandaise plus avantageuse.
Dans la salle de la cuve, 800 à 1500 litres de pâte à papier sont chauffés à 25 degrés grâce au « pistolet en cuivre » à mi-hauteur. La pâte devient alors plus onctueuse pour la mise en forme par l’ouvreur.
La mise en forme se fait avec un moule en deux parties :
- « Forme », châssis de bois rectangulaire tendu de fils de laiton soutenus de barres de sapin (pontuseaux),
- « Couverte », cadre amovible recouvrant parfaitement le châssis
Il existe une règlementation pour les formes selon le papier fourni. Un filigrane devient obligatoire à partir de 1739.
La mise en forme se fait toujours à deux ouvriers :
- L’ouvreur prélève avec la forme la quantité de pâte nécessaire à la feuille, la répartit et procède à un égouttage rapide,
- Le coucheur procède au retournement de la feuille et intercale un feutre entre deux feuilles.
Au pressage, les porses (100 feuilles et 101 feutres) sont mises sous presse pour extraction d’environ 80% d’eau.
Au levage, les porses sont enlevées de la presse. Le garçon-papetier retire les feutres tandis que le leveur décolle les feuilles avec beaucoup de précautions tant elles sont fragiles.
A l’étendoir, les feuilles sont mises par paquets sur des fils pour un séchage lent et régulier de un à sept jours. La blancheur de la feuille en dépend.
Par l’encollage on cherche à donner à la feuille apprêt, résistance et imperméabilité. On fabrique la colle à base de rognures de peaux d’animaux en Bigorre et en Béarn, la cuisson à petit feu dure une journée. Pour une meilleure fixation, on ajoute du sulfate d’alumine et de potasse. Les feuilles sont plongées par paquets, écartées pour une meilleure imprégnation. Elles sont ensuite pressées pour évacuer le surplus de colle et replacées feuille par feuille à l’étendoir.
Dans la salle des finitions, on procède au tri des feuilles (10% de déchet dans les bonnes papèteries), au polissage et au pliage ; le lissage se fait avec un lourd marteau muni de barres de fer mû par un arbre à cames ; les feuilles sont ensuite mises sous une presse à double vis avant d’être empaquetées par rames pour l’expédition.
Cet enchaînement d’étapes à suivre rigoureusement soumis à l’indiscipline des ouvriers à la fin du XVIIIe siècle et l’impact très négatif sur la production conduisent à rechercher la mécanisation du processus. Louis Nicolas Robert mettra au point une machine à papier continu en 1798. Capable de fabriquer des bandes de papier de 12m à 15m de long sur 63cm de large, elle ouvre la voie à tous les perfectionnements connus aujourd’hui.
Implantation des papeteries.
Établir une papeterie ne s’improvise pas. Le choix de l’emplacement est soumis à plusieurs exigences et contraintes.
La plus évidente concerne la production de l’énergie nécessaire pour faire fonctionner les marteaux à piles. Du XIIe siècle au début du XIXe siècle, seule l’énergie hydraulique peut satisfaire les besoins. Les établissements devront se situer au plus près d’un cours d’eau d’où un canal conduira l’eau jusqu’au moulin. Cette eau devra être limpide, cela implique la mise en place de dispositifs de récupération des gros débris et de filtrage des débris fins. Les papetiers chercheront à s’installer en amont des moulins à farine et scieries suspectés de salir l’eau. Les bruits des marteaux à piles et les odeurs des colles chauffées conduiront le plus souvent à positionner les moulins à papier hors agglomération.
Installer un moulin implique la présence de bois exploitable à proximité pour satisfaire plusieurs besoins : chauffage des colles et des locaux d’habitation mais aussi fourniture de la matière première aux menuisiers et charpentiers très sollicités par l’entretien de toute la machinerie essentiellement en bois.
Jusqu’à la révolution, le droit d’eau reste un droit féodal. Le seigneur en dispose sauf s’il l’a cédé.
Les nobles sont donc nombreux à détenir la faculté d’installer un moulin même si quelques négociants ou hommes de loi y accèdent. Les religieux sont rares. Par ailleurs, si édifier un moulin est coûteux, son entretien revient cher. L’abolition des privilèges favorisera la multiplication des moulins de toutes sortes.
Enfin, le moulin devra être situé en fonction de l’approvisionnement en matières : chiffons, alun, colles, etc. Il prendra en compte les débouchés : quel papier et pour qui ? acheminé comment ?
Les moulins à papier dans les Pyrénées occidentales.
Il est fréquent en Béarn d’annoncer que les évènements dont on ne connaît pas l’origine datent de temps immémoriaux. C’est un peu le cas lorsque l’on cherche à situer les créations de certains moulins à papier. Le tableau ci-dessus donne cependant une idée des trois vagues d’installations.
La première va du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle.
La seconde, à partir de 1754 voit une recherche contrôlée d’améliorations dans la production et la qualité.
La dernière période d’édification, au XIXe siècle, après l’abolition des privilèges et le marasme postrévolutionnaire qui s’ensuit au niveau des débouchés commerciaux connaît plus de faillites que de réussites.
Le tableau suivant montre la durée d’implantation des papeteries en Béarn, Bigorre et Pays basque
L’origine des papetiers.
Même s’il n’est pas aisé de connaître précisément l’origine géographique de tous les maîtres papetiers, il semble bien que dans les premières papeteries du XVIIe siècle il soit fait appel à des professionnels venus de régions où les moulins à papier sont installés de longue date : Auvergne, Limousin, Angoumois, Périgord et Languedoc.
Dans un second temps, les maîtres installés localement deviendront à leur tour des conseillers et formateurs avisés.
Dans un troisième temps, lors de la mécanisation des ateliers, il sera de nouveau fait appel à des professionnels venus d’ailleurs.
Comme dans bien des professions, les papetiers s’arrangeront pour que les mariages consolident leurs entreprises.
Les moulins des BASTIT-LABAU.
Pierre Bastit-Labau et son frère nommé lui aussi Pierre sont les fils d’un laneficier (tisserand et négociant en laine) de Rébénacq. C’est probablement la crise du textile lainier qui les conduit à délaisser la profession paternelle et à s’orienter vers le métier de papetier, d’autant qu’un moulin à papier appartenant au seigneur de Rébénacq fonctionne sur place depuis 1690.
Sans doute dans le but de ne pas se contenter d’un emploi d’ouvrier papetier, l’un afferme la papeterie de Bizanos vers 1808, l’autre celle de Sarrance entre 1816 et 1820. Si ce dernier éprouve des difficultés pour assumer sa fonction en vallée d’Aspe, son aîné parvient à se rendre propriétaire du moulin à papier de Bizanos en 1821 et l’exploite avec ses deux fils. Trop fortement endetté entre autres suite à des travaux d’extension de ses bâtiments, il est contraint de le revendre en 1845, tout en restant probablement à la tête de la fabrication locale. En 1854, cette entreprise est vendue et transformée en chocolaterie, puis dans le dernier quart du XXe siècle ses bâtiments sont aménagés en logements.
Le moulin à farine de Bosdarros, en très mauvais état, est acquis en 1836 par Jean-Pierre Bastit-Labau papetier à Bizanos. Il le reconstruit, y adjoint un moulin à papier et confie l’ensemble à son frère cadet.
Au milieu de XIXe siècle, de multiples dettes conduisent à la saisie des biens. De propriétaires se succèdent jusqu’en 1883 où son ultime fermier est en cessation de paiement. La production de papier, essentiellement d’emballage cesse peu après. Le site devient une friche à côté du moulin à farine souvent transformé et à ce jour centre de réceptions évènementielles
La fin de l’aventure de ces trois moulins s’inscrit dans celle de ceux du secteur comme le montre le tableau placé plus haut.
De la fin du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, de nombreux moulins sont en activité et la plupart fonctionnent en feuille par feuille sans trop de difficultés. Très vite cependant, pour répondre à la demande et pour un meilleur rendement, la mécanisation voit le jour entrainant de gros investissements que beaucoup de petites entreprises supportent difficilement faute de crédits à un moment où de plus le commerce de papeterie connaît des crises importantes. Les faillites sont inéluctables pour les moins bien armés. Bosdarros en est un exemple caractéristique :
1865 : vente par Ambroise Cabailh à Jean Dubié et Pierre Marie Tournaire,
1866 : création de la Société Dubié-Tournaire pour 10 ans,
1871 : 40 personnes contre 12 en 1858 (8 hommes et 4 femmes),
1872 : Litige entre Dubié et Tournaire,
1874 - 1884 faillite de Dubié. Ambroise Cabailh redevient propriétaire (Bail à Jacques Mazure.)
Pour aller plus loin.
Le livre de Jeanne VALOIS « LES PAPETIERS ET LEURS MOULINS Béarn, Bigorre et Pays basque (XVIIe-XIXe siècle) » est édité par MonHélios.
Les images placées dans le compte rendu et dans la galerie ci-dessous viennent de photographies prises pendant la conférence, de scans du livre de Jeanne VALOIS et d’internet.