26 octobre 2023                                     SOURCES ET BAINS

                                         Aspe, Ossau, Barétous et Soule

                                                       Pierre CASTILLOU

 

Par trois fois Pierre Castillou est venu nous entretenir du Haut-Aragon. Le 18 mai 2017 avec les Ermitages du Haut-Aragon, ce Haut-Aragon qu’il aime tant et qu’il a parcouru dans tous les sens (voir ICI).  Le 19 mai 2022 il nous a présenté les églises mozarabes du Serrablo (ICI). Le 13 avril 2023 avec Régine Péhau-Gerbet il nous a fait revivre Le Voyage de l’Émigrant (ICI).

 Né à Oloron Ste Marie, il y a 70 ans, Pierre Castillou est tout à la fois sculpteur, illustrateur d'ouvrages, écrivain voyageur et romancier. Parmi ses nombreuses sculptures, trois monumentales sont en Béarn : La légende de St Grat et le Cinéma à Oloron Ste Marie, le Pelotari à Mont. Pierre est illustrateur, d’abord de ses propres livres, mais aussi de ceux d’autres auteurs : Les rues de Pau de Michel Fabre, La cathédrale Sainte Marie d'Oloron et Amour et érotisme dans la sculpture romane de Pierre-Louis Giannerini. Il a aussi illustré un ouvrage consacré aux Poilus Oloronais intitulé « Lettres à l’oncle Paul ». Sa passion pour l’Art roman l’a conduit sur des chemins d’art et d’histoire et sur ceux de Compostelle. Ces pérégrinations ont donné des récits illustrés de dessins et d'aquarelles :  Regards sur le Chemin de Compostelle, La Voie d'Arles, Chemin et Histoire cathares, Le Haut-Aragon et ses ermitages, Le Haut Aragon et ses églises mozarabes.

 On retrouve encore l’Aragon aux multiples visages dans : Guide de l'Aragon en 54 balades. Le romancier trouve ses sujets aussi bien en France qu’en Aragon, en Amérique qu’en Afrique avec : L'incendie de Boukassa, Sasé village abandonné, Les frères Celhay, Les barbelés de l’âme. Pierre effectue des travaux au profit de l’Association pour la Mémoire de l' Emigration et collabore à la revue Partir.  Il vient aujourd’hui nous présenter son dernier ouvrage édité en 2022 : Sources et Bains, Aspe Ossau, Barétous et Soule.

Au cours de son exposé, le conférencier présente d’abord l’évolution des sources et des établissements thermaux à travers les siècles avant de balayer les ressources en Aspe, Ossau, Barétous et Soule. Il développe enfin la situation des bains de Labérouat et Pédehourat sans oublier de dire quelques mots sur nos célèbres « Bains romains » du Broca à Gan.

 

Les Sources et Établissements thermaux à travers les siècles.

 

 L’eau est indispensable à la vie. Depuis la nuit des temps, elle est utilisée par l’homme comme il se sert des plantes pour se soigner. Au IIIe siècle, Claude Galien, né à Pergame ville thermale et considéré comme le père de la médecine préconise la toilette pour préserver la santé. L’eau ne sert plus seulement à l’hygiène, les bains deviennent un soin. Les romains, partout où ils s’installent créent des thermes. Ici, en Béarn un vieux proverbe traduit les recommandations de Galien quand il précise : « ester net, qu’ ei la meitat de la santat » ou « être propre, c’est la moitié de la santé ».

 

 

Entre le IVe et le XIe siècles, devant le développement des bains où l’on dit des prières ou des incantations, l’église veut lutter contre ce qu’elle considère comme des rites païens. Faute de pouvoir les empêcher, elle les récupère en donnant à la plupart des sources des noms de saints comme Saint-Christau, Sainte-Quitterie, ou Source Saint-Jean, Source de la Vierge…

 

Au XIe siècle, la médecine balbutiante reprend les propos de Galien. On assiste alors à la naissance d’établissements thermaux souvent assez frustes, faits de cabanes en planches érigées au plus près d’une source comme aux Eaux-Bonnes, Eaux-Chaudes, Ogeu, Escot, souvent des lieux retirés dont l’accès reste difficile. 

 

Au XVe siècle, les grandes villes connaissent aussi cet attrait des bains. On les trouve dans des établissements sous le nom d’étuves. On y prend les bains nus et mixtes dans des cuves collectives... avec parfois prolongations de soins en chambre. C’est assez pour que l’église s’en émeuve et condamne ces lieux de débauche. La médecine elle-même s’élève contre cette pratique où la circulation des microbes est favorisée et la propagation de la syphilis entraine la fermeture des étuves. Dès lors, les soins de toilette sont réduits aux parties visibles du corps, du linge propre couvrant le reste.

 

A partir du XVIe siècle, les thermes retrouvent plus d’activités et de nouvelles constructions apparaissent.

 

Au XVIIIe siècle, siècle des Lumières, les médecins s’intéressent aux apports des eaux. Théophile de Bordeu, très directement concerné par les bains des Eaux-Bonnes procède à un recensement des sources du secteur dont il décrit, par observation et recueil de témoignages les bienfaits. Il publie son travail sous forme de lettres rassemblées en un volumineux ouvrage. Il ne fait pas de doute que ces travaux produiront leurs fruits rapidement. 

Au XIXe siècle, l’analyse chimique des eaux accroît l’intérêt pour les bains et la fièvre thermale s’empare de toutes les sources connues et exploitables où l’on détruit les cabanes pour les remplacer par des thermes en pierre taillée. Des hôtels de même facture sont construits pour accueillir une clientèle aisée, aristocratique et bourgeoise.  Des parrainages prestigieux sont recherchés : Napoléon, Eugénie de Montijo, artistes… Les chemins d’accès deviennent prioritaires. La messe prenant une place importante à cette époque, des églises ou des oratoires sont élevés au plus près des sources. Les loisirs indispensables pour ces curistes mobilisés seulement deux heures par jour apparaissent : Casinos, Promenades, Théâtre, Salles de bal…

Si les stations thermales les plus réputées réussissent grâce à leurs infrastructures modernes et confortables à toujours attirer plus de curistes, souvent fortunés, les stations plus modestes ont du mal à effectuer des transformations et leur équipement trop sommaire et peu hygiénique devient un handicap plus important le temps passant.

 

Au XXe siècle cette différence est encore plus sensible. Devant le développement des bains de mer et l’apparition des sanatoriums, des normes imposées par la Sécurité sociale pour l’obtention du remboursement des cures, c’est l’ensemble du thermalisme qui souffre jusqu’à l’effondrement.

 

Quelques sites réussiront cependant à prolonger leur existence en se reconvertissant comme Ogeu ou Saint-Christau grâce à la mise en bouteille de leurs eaux.

 

Les thermes en Ossau, Aspe et Soule.

 

 

Eaux-Bonnes. C’est le type de station, modeste cabane de planches en montagne, qui devient au XIXe siècle station modèle de développement grâce au parrainage d’Eugénie de Montijo : belles routes d’accès, grands hôtels, Casino, jeux, et même un hippodrome à Gère-Bélesten dont l’éloignement limitera le succès. Son déclin au XXe siècle est d’autant plus visible qu’elle comporte d’importantes infrastructures à l’abandon. Les efforts pour rénover son casino ou relancer récemment les thermes en les mettant au goût du jour avec des efforts d’architecture se révèleront plus ennuyeux qu’efficaces : la bulle surplombant l’édifice thermal l’empêche de fonctionner.

 

 

Eaux-Chaudes. Petite sœur et voisine d’Eaux-Bonnes, cette station a profité de son élan pour moderniser des installations très modestes sans jamais connaître beaucoup de succès. Sa situation, encaissée entre des parois vertigineuses lui donne un air sinistre. Sa clientèle populaire lui permet cependant encore aujourd’hui, seule station parmi toutes celles évoquées, de fonctionner grâce à de récentes améliorations.

Oloron. La ville, Iluro a possédé des thermes romains dont il ne reste rien. Plusieurs sources ont généré de l’activité. Il n’en reste que quelques vestiges.

 

 

 

Ogeu les Bains. Un établissement conséquent a occupé le fond de vallée. L’eau y soigne le foie, l’estomac et les reins. Corisande d’ Andoins y est venue. La cure dure 21 jours. Les thermes ferment en 1943 mais dès lors la reconversion en embouteillage de l’eau minérale plate ou gazeuse est le début d’une nouvelle aventure qui connaît à ce jour un succès remarquable.

 

 

Lurbe Saint-Christau. Dès l’antiquité ces bains sont fréquentés pour soigner la peau. Ils possèderont de belles installations dans un grand parc où ne subsistent que deux bâtiments destinés aux médecins. Ils sont aujourd’hui transformés en gîtes. Les thermes ferment en 1999 suite à la pollution de la source dont l’eau avait aussi un temps été mise en bouteilles.

 

 

 

 

 

Bains de Secours à Sévignacq-Meyracq. Fréquentés par une clientèle modeste au XIIIe siècle, ils existent toujours comme Centre de bien-être et de remise en forme.

 

Pierre Castillou a ensuite présenté de nombreux sites n’offrant plus aucun service, en ruines ou disparus mais qui ont tous une histoire :

 

Les Bains de Poutrou à Borce, l’établissement thermal de Bulasquet, Souvré à Rébénacq, Sainte-Vigne à Féas devenu gîte rural, Suberlaché à Bedous qui accueillait les lépreux, Chichit encore en Aspe dont la source ferrugineuse soignait les rhumatismes et l’anémie, mais aussi Garaïbe à Ordiarp, Casenave à Montory, Eyheramendi à Laguinge, Aguer à Camou-Cihigue, Bains Teinture à Licq, les Fontaines d’Escot à Sarrance, Dalgalarondo à Mauléon, Ibarria à Lacarry, Notre-Dame de Paradis à Barcus, et d’autres encore comme le montre dans la galerie d’images la liste des sources et fontaines sur le territoire de Barcus.

 

 

Les Thermes de Labérouat à Lescun.

 

 

S’il existe à Labérouat un refuge connu de tous les randonneurs, rien ne laisse penser que des thermes étaient à cet endroit à la fin du XIXe siècle. Deux lettres adressées par le curé de Lescun Jacob Lacaze en 1884 et 1886 à ses cousins dans la pampa argentine en attestent. Les eaux de Labérouat bénéficient pourtant à cette époque d’une réputation avérée tant en vallée d’Aspe qu’au-delà de la frontière en Aragon. Installés dans une cabane de planches, ils deviennent rapidement vétustes et le curé, pratiquant régulier se démène pour les améliorer, incitant les paroissiens à participer au financement.

 

En 1874, un bâtiment en dur est inauguré et dédié à la Vierge. Le comte Henry Russel précise dans ses écrits comment l’eau qui coulait chaude avait subitement perdu cette qualité après un tremblement de terre un siècle plus tôt en 1778. Il écrit aussi que les bains se prenaient suivant les coutumes du Japon, ce qui laisse penser à des bains mixtes collectifs, ce que semble confirmer le « Guide Joanne » en 1862 précisant « où les hommes et les femmes de Lescun se baignent pêle-mêle ».

 

Le nouveau bâtiment comporte deux niveaux. Au rez-de-chaussée une partie cloisonnée comporte cinq cabines individuelles avec baignoire alimentée en eau chauffée par une chaudière. La seconde partie sert pour patienter. A l’étage, une cuisine et un âtre, un dortoir et quelques chambres pour accueillir chacun selon sa bourse. En 1876 deux mille curistes sont recensés pendant la saison ce qui classe le site dans la moyenne des stations pyrénéennes de moyenne catégorie. Le curé de Lescun trouvant la distance entre l’église et les thermes trop longue pour les curistes réussit à faire élever une chapelle sur une butte au-dessus des thermes (flèche rouge sur la photo). Les frères Cadier en excursion en 1897, empêchés par le mauvais temps s’abritent aux thermes et rapportent qu’à Labérouat on ne trouve « qu’un toit, un air pur et vivifiant, du feu et de la bonne eau ». Il faut donc venir avec son matelas, ses couvertures, draps et bien sûr victuailles pour la durée du séjour.

 

 

Le départ de Lescun du curé Lacaze en 1886 est suivi d’un déclin des thermes et, au tout début du XXe siècle, l’engouement pour la pratique du pyrénéisme conduit Louis Falisse et Jean Bignalet à proposer la transformation du bâtiment en très mauvais état en refuge montagnard. Des travaux sont entrepris et en 1922, l’édifice rehaussé d’un niveau est inauguré. Les observateurs remarqueront sur les murs latéraux les fenestrous des cabines.

 

Les Bains de Durrieu à Louvie-Juzon Pédehourat

 

Blottie au fond d’un étroit vallon menant au sauvage cirque dominé par les pics Merdanson, Durban et Quiala, la fontaine des fées a de tout temps été utilisée par les habitants pour ses bienfaits. Connue pour calmer les affections nerveuses, elle est christianisée sous le nom de Saint-Jean. Aucun document à l’époque où foisonnent les publications sur les thermes ne mentionne ces eaux. En 1850 des bains et un hôtel sont pourtant exploités dans ce lieu retiré et en 1900 des cartes postales témoignent de leur notoriété. On y prend les eaux dans des cabines individuelles et on boit à sa buvette alimentée par la source Saint-Jean. Jean Ort rachète l’affaire en 1886 et se révèle un maître dans les négociations pour l’aménagement et la mise en valeur des lieux.

 

 

A côté de l’hôtel possédant tout le confort moderne indispensable au séjour et à la restauration des curistes il fait construire des bains et organise une grande fête pour la Saint-Jean. Il obtient de la commune des terrains et canalise l’eau « Apéritive et Digestive » jusqu’à un kiosque près de l’hôtel. En contrepartie les habitants devront avoir accès libre aux eaux qu’un proverbe béarnais bien pensé vante : A la montahas de Durrieu, los que se’ n van morts que se’ n tornan vius » soit « Aux montagnes de Durrieu, ceux qui y arrivent à moitié morts repartent vivants ».

 

En 1889, pensant dynamiser son établissement, il réussit à faire ériger une chapelle au-dessus de la source. Il serait même allé jusqu’à imaginer un miracle avec une bergère qui aurait vu la Vierge mais cela tourna court. Les témoignages des curistes sont élogieux et tout semble aller pour le mieux avec de nombreuses fêtes organisées quand Jean Dort décède en 1901. Sa veuve poursuit les activités mais la Première Guerre mondiale fait chuter la fréquentation. L’activité reprend faiblement vers 1925 mais s’éteint avant la seconde Guerre mondiale. A partir de 1942 les maquisards s’installent dans ce vallon perdu. En 1944, les Allemands y livrent de violents combats et incendient l’établissement thermal. Les héritiers de Jean Ort, aussi opportunistes que leur père cherchent à investir les dommages de guerre sur la côte basque mais la commune y fait barrage. Les ruines rachetées donnent vie à une pisciculture où l’on peut voir restauré le kiosque buvette tandis que l’église ruinée aussi sert d’entrepôt. 

 

Les Bains du Broca à Gan.

 

 

Gan, bien connu pour ses vins abrite au bois du Broca une source d’eaux ferrugineuses censées traiter les coliques néphrétiques. La réputation de ces eaux nous parvient par les courriers conservés par l’abbé Daniel de Tristan curé de la paroisse qui reçoit beaucoup de commandes comme : « Je vous supplie très humblement de vouloir me faire remplir deux barils de votre fontaine de Gan de la vertu de laquelle notre fameux médecin m’a fait une relation » ou encore «  Je suis fort aise que les bains contribuent au rétablissement de votre santé et que la fontaine de discorde puisse  mériter dorénavant la nom de fontaine du salut […] Si  le succès répond aux préliminaires, Gan va devenir fameux ».

 

La réputation de la source commence à s’étendre. Pendant cette période où chacun cherche à tirer profit de la moindre goutte d’eau surgissant ici et là, une vilaine querelle va opposer le docteur Bergerou ardent défenseur des eaux de Gan au docteur Théophile de Bordeu, défenseur, lui, des intérêts de son père très impliqué dans la gestion de la station des Eaux-Bonnes. Les échanges sont virulents.  Bergerou ne voit que des qualités et des louanges pour ces eaux « apéritives… et surtout diurétiques », « dignes de la réputation qu’elles se sont acquises dans tout le royaume », « recommandables pour les coliques néphrétiques […] et pour toutes sortes de fièvres ». Théophile de Bordeu dans ses lettres à madame Sorbério en 1746 se montre très critique : « L’eau m’a toujours paru un peu trouble […] d’ailleurs, elle sent même la vase ». La ville de Gan […] ne cesse de vanter les vertus miraculeuses de ses eaux ; ses habitants […] sont tous médecins, tous occupés à chanter les merveilles de leur source ».

 

 

Cette querelle de spécialistes se poursuivra jusqu’à la haine et l’insulte et il est vraisemblable qu’elle laissera planer quelque doute sur les eaux de Gan alors même que la municipalité envisage de les aménager avec l’espoir d’attirer de nombreux visiteurs. Un édifice avec voûte en abside et un canal de recueillement des eaux de la source sont construits en 1748. Des cabines avec baignoires roses sont édifiées contre la coupole. La commune met ces bains en fermage. Ce sont des femmes qui les exploitent prenant en charge les frais pour les faire fonctionner. On en suit la transmission jusqu’en 1914. Après la Guerre, les bains périclitent et sont peu ou pas exploités jusqu’en 1940.

 

 

 

Il faudra attendre un demi-siècle pour qu’on extirpe des ronces et broussailles et qu’on restaure ce petit patrimoine connu sous le nom de bains romains depuis le XXe siècle.

 

Pour en savoir plus :

 

En 2012 Gan-Mémoire-Patrimoine a réalisé avec le concours des Archives communautaires une exposition sur les « Fontaines et sources du piémont béarnais ...ces eaux qui guérissent ». Sur 15 panneaux, six sont consacrés aux Bains du Broca. On y voit en particulier les travaux de restauration. C’est ICI

 

Sur le site de GMP, parmi les vingt-quatre documents traitant de l’Histoire de Gan il en est un, également publié sur le Bulletin municipal consacré aux « Bains du Broca ». Il est ICI.

 

Et, bien évidemment le livre passionnant de Pierre Castillou « SOURCES ET BAINS, Aspe, Ossau, Barétous et Soule » aux Éditions MonHélios.

 

 

Les images de la galerie ci-dessous sont extraites du livre de Pierre Castillou, de l’exposition de 2012 et de photos prises pendant la conférence.