24 novembre 2022

LE LANGAGE DES PIERRES

QUI RACONTENT L’HISTOIRE DE LA TERRE ET DES HOMMES

 

Par Jean TOUYAROU

 

 Ingénieur forestier à la retraite, Jean TOUYAROU a exercé son métier dans et autour du Béarn, couvrant le département des Pyrénées atlantiques et des Landes essentiellement. Il a certes voyagé mais il a surtout consacré beaucoup d'énergie et de temps à approfondir sa connaissance de ce coin de pays qui l'a vu naitre et dont il est profondément imprégné. Retraité ne signifie pas inactif. La présidence de l'Association des amis du musée d'Ossau dont il assume aujourd'hui la vice-présidence témoigne de son engagement comme aussi les nombreuses visites et conférences qu'il conduit. C'est la quatrième fois qu'il accepte de nous faire partager ses réflexions sur ce Béarn qu'il vit avec passion. Il maîtrise avec une rare facilité le talent de rendre les choses simples et surtout d'attirer l'attention sur ce que nous côtoyons tous les jours.

Les pierres sont autour de nous, et pourtant nous ne les voyons plus.

Pendant un peu plus d'une heure, le conférencier nous entraîne de la nature à la cité, de la montagne à la plaine, des temps les plus anciens à notre quotidien, faisant parler ces pierres que bien souvent nous ne remarquons pas car, dans nos déambulations, les personnes qui passent sont plus nombreuses que celles qui voient.

Les pierres nous aident souvent, nous protègent parfois, nous guident, et pourtant on a fini par les oublier. Nos prédécesseurs nous ont laissé des traces de leur passage qu'ils soient bâtisseurs de cathédrales, compagnons, bergers dans nos montagnes, sculpteurs de linteaux de maisons, prisonniers dans leurs geôles… Les témoignages sont nombreux, pas toujours visibles mais souvent émouvants. Nous avons appris le langage des pierres qui, sous nos yeux, racontent l'histoire de la Terre, des hommes qui l'ont colonisée dès le paléolithique, l'histoire des premiers rites ou premières sépultures avec les cromlechs et les dolmens. Nous avons découvert le langage des pierres qui ont abrité les premiers hommes, accueilli leurs dessins, servi d'outils, borné les territoires, guidé leurs troupeaux...

 

 

Pierre et l'histoire de la Terre. Dans le lit du gave de Pau, des galets de différentes couleurs nous donnent la composition géologique du bassin dont ils proviennent tels les granit (Cauterets), grès et schiste (environs de Gavarnie), aphte (vert, de la région de Lourdes), calcaire (Gabizos).

 En vallée d’Ossau, des Orgues d’andésite soulignent le volcanisme tandis que des fossiles de mollusques rappellent la présence de la mer il y a 110 millions d’années.

 

 

 

Le glacier d’Ossau a poli des roches tendres et transporté quelques pierres, du cirque de Moundeilhs au lac de Bious-Artigues et aussi du massif d’ Er jusqu’au plateau du Bénou où chacun peut voir les mystérieuses arenaygues.

 

Pierre et l’Histoire de l’Homme. En visitant en 2021 le Plateau de Meillon, nous avions vu comment les hommes qui avaient colonisé ces terres y avaient trouvé les pierres pour confectionner leur outils et leurs armes.

De même, en montagne, des roches ont servi à l’affûtage des outils pour les hommes qui transhumaient il y a quatre mille ans.

Dans les Hautes Pyrénées, une carrière de sarcophages du V° siècle est visible et qui reconnaîtrait un sarcophage dans cette jardinière d’ Ossen ?

 

Pierre et premières inscriptions des hommes. Au paléolithique, l’homme nomade s’abritait dans des grottes où il peignait. La grotte Tastet découverte en 1970 à Sainte-Colome montre un bison et un cheval datés d’il y a 18 mille ans.

A Aydius, en 1993, deux vététistes en recherche d’itinéraire vont frôler une petite grotte. Le premier passe tandis que le second voit et s’arrête devant une figurine d’anthropomorphe datant de 3000 ans.

A Estaing, des cercles concentriques ornent une roche horizontale.

 

 

Pierre et cultes. Les cercles de pierre, cromlechs sont nombreux en vallée d’Ossau et dans les Pyrénées. Ils avaient une fonction funéraire et servaient de lieux d’incinération. Les dolmens et les coffres, généralement enfouis sous un tumulus recevaient les dépouilles. Des oratoires servent de lieu de recueillement, souvent près d’une source comme à Troumouse.

 

 

Pierre qui abrite. La quèbe en Béarn constitue un bon abri qu’on peut améliorer avec un muret de pierres sèches. L’ancien refuge du couvercle exploite cet avantage. Les bergers s’installent souvent près d’une source et d’un abri dans lequel ils conserveront leurs fromages au frais en attendant de les descendre dans la vallée.

 

 

 

 En vallée de Campan, les bergers ont construit des abris en ligne, tous arrosés par l’eau de la source pour conserver le lait frais. L’ouverture est toujours orientée au nord.

 

 

 

Pierre qui guide. Une pierre dressée au milieu d’un pâturage indique-t-elle le chemin ou sert-elle de repère pour une sépulture ? Les cairns sont  précieux pour suivre le bon chemin quand ils ne sont pas pollués par leur multiplication comme cela a tendance à se répandre aujourd’hui.

 

 Pierre marques des bâtisseurs. Les tailleurs de pierres, les sculpteurs, les maçons, les architectes, les charpentiers et les maîtres verriers ont laissé des traces sur les matériaux employés pour construire les châteaux, les ponts et les cathédrales comme on peut le voir à Lescar. Ces signes peuvent correspondre simplement à une marque de tâcheron pour le paiement mais aussi à des repères pour l’agencement des pierres ou des poutres.

 

Les pierres portent des marques de compagnons effectuant leur tour de France : équerre, compas, fil à plomb… dans la région, les linteaux de maison portent de nombreuses marques : date, nom du propriétaire, du maçon et signes de prospérité ou propres à chasser les mauvais esprits… A Béost, nous pourrons voir une tête de cagot surplombant la couronne du roi Salomon et les outils du compagnon.

 

 

Pierre support de témoignages. Les prisons montrent la détresse et parfois l’espoir des prisonniers avec seulement des noms et dates mais aussi des dessins comme le port de La Rochelle. Tout près de nous, à Izeste, un pilori de 1682 (sous Louis XIV) mérite d’être observé attentivement : il était enfoncé dans le sol. Son écusson montre un bâton de justice, surmonté de l’emblème royal, des fleurs de lis. Le Béarn est symbolisé par deux vaches passantes, une seule avec sonnaille et l’une vers la droite et l’autre vers la gauche. Au pied, les chaînes des punis ont laissé des traces montrant qu’il a été très utilisé.

 

 

Dans les estives, entre deux traites, les bergers gravent les pierres en surveillant les troupeaux. En vallée d’Ossau, l’association des amis du musée d’Ossau a répertorié 600 pierres portant 3300 inscriptions, la plus ancienne étant datée de 1595.Des personnages célèbres ont parfois aussi gravé leur nom comme Théophile de Bordeu ou Gaston Sacaze. Les officiers géodésiens, des mineurs, des carriers ont marqué leur passage.

 

 

Pierre et blessures de l’histoire. Pour des raisons politiques on détruit des images déjà en Egypte (Akhenaton) et en France lors des guerres de religion, destruction de l’église de Bielle, fleurs de lys et croix martelées à Béost. Boulets et obus conservés dans les murs reconstruits, traces de balles sur l’église de Barcelone. Jusque dans les estives où on lit : Salle François, mort pour la patrie 1915 » tandis que des croix gammées et SS sont encore visibles avec le serment « Fidèles jusqu’à la mort ».

 

Pierre et séparation des hommes. Le partage des territoires a toujours été réalisé en plantant des bornes, qu’il s’agisse de politique comme pour les frontières entre la France et l’Espagne et également de religion comme pour les évêchés de Lescar, Oloron et Tarbes dans la forêt de Très Crouts à Saint-Pé de Bigorre. En montagne, les bornes limitant les estives sont nombreuses. Elles ne portent généralement qu’une croix parfois accompagnée d’une lettre : A pour Aspe ou L pour Laruns. Nous apprenons d’où vient le mot mornifle et comprenons que les jeunes enfants l’ayant reçue ont sûrement transmis à leurs descendants l’emplacement de la borne devant laquelle ils avaient été maltraités.

Pierres clandestines. Il n’est pas rare de trouver des pierres récupérées et utilisées en réemploi comme à Bosdarros en clé de voûte, 1617 à l’envers ou à l’église de Bielle, colonne et chapiteaux provenant de la villa gallo-romaine du II° siècle.

 

 

Pierres oubliées. Le promeneur sera surpris sur les bords du gave de Brousset au-dessus de Pont  de Camps en trouvant une pierre circulaire au bord du torrent. Il s’agit d’une meule dont l’exploitation a été abandonnée. De même au Béout, pourquoi une pierre taillée pour un sarcophage est-elle toujours là ?

 

 

Pierre qui soigne. Comme la sylvothérapie qui devient aujourd’hui très à la mode, la lithothérapie connaît un certain succès. Il semblerait que ces pierres et ces cristaux déclenchent une résonance vibratoire au contact de la peau qui aurait des vertus spécifiques permettant de réguler une partie de notre corps et de retrouver son équilibre fonctionnel.

 

 

Pierre et symbolique. Les bijoutiers savent parfaitement mettre en valeur ce que disent les pierres  dites précieuses : Émeraude : espérance, Diamant : amour éternel, Rubis : bonheur, Saphir : fidélité.

 

 

 

Pierres insolites. Quelques pierres enfin na sauraient être classifiées tant elles sont originales, tels le canon de midi, l’hôtesse d’accueil ornant le début d’une rampe d’escalier à Pédestarrès ou ces petites excavations dans la roche servant de lavabo au berger ou encore cette pierre portant la détresse du vieux berger Jean Liet lors de sa dernière estive en 1888 et qui écrit : « Dieu de ces montagnes, comment dois-je les quitter sans pleurer ?»

 

 

Les pierres parlent à ceux qui savent les entendre

En fin de séance la salle est convaincue de l'intérêt de ces témoignages et de leur conservation.

 

Ce compte rendu a été réalisé à partir des notes que le conférencier a bien voulu nous confier. Qu’il en soit ici encore remercié.

 

Une galerie d’images est placée ci-dessous. Elle reprend quelques diapositives de l’exposé du conférencier et des photos personnelles ou d’internet.