Bateaux de guerre et bateaux de pêche : de l’arbre au navire

 

« Les bateaux naissent en forêt »

 

Le 21 octobre, Jean Touyarou, ingénieur forestier retraité, vice-président de l'Association des Amis du Musée d'Ossau

et passionné de nature comme d'architecture

est venu nous parler d'un sujet qui a concerné au plus haut point notre région du sud-ouest .

 

Nous le remercions pour avoir bien voulu nous adresser un résumé de sa conférence accompagné de quelques-unes des images projetées pendant son exposé. Prenez-en connaissance ci-dessous.

 

 

 

 

Bateaux de guerre et bateaux de pêche : de l’arbre au navire

 

« Les bateaux naissent en forêt »

 

 

 

 Construction navale en Pays Basque

 

En Pays Basque, l’existence des chantiers maritimes est attestée dès le Moyen Age, en 1131. Cette région dispose en effet de plusieurs atouts : des sites propices (estuaires de 3 fleuves, 2 ports d’importance, des côtes pour le cabotage), du bois d’essences très variées à proximité (région de Sare, Ostibaret, Barthes de l’Adour, forêts pyrénéennes) ainsi que d’autres matériaux (chanvre, fer).

 

Parmi les bateaux construits, il y avait des thoniers, des chalutiers, des goélettes, des morutiers, des nefs, des chaloupes, des tilholes, des galoupes, des trainières, … (photo 1)

 

Les parties d’un bateau :

 

Etrave, structure, mâts, pont, bordés, accastillage (barriques, coffres, poulies, manilles), (photo 2)

 

Le bon bois au bois endroit : (photo 3)

 

Les essences sont choisies selon leur destination sur le bateau. Ainsi :

 

Pour la structure (résistance, solidité, durabilité) : chêne, orme, hêtre, acacia

 

Pour les mâts et matereaux (souplesse, élasticité, légèreté, résistance) : sapin, pin

 

Pour le pont (alternance pluie et soleil) : chêne, orme

 

Pour les bordés (immergés ou alternance mer et soleil) : chêne, orme, sapin, pin

 

Pour l’accastillage : frêne, châtaignier, hêtre, buis, houx

 

Pour les sculptures (légèreté, facilité de sculpture) : tilleul, peuplier

 

Une forme adéquate :

 

Les pièces de bois devant être dans le sens des fibres, toutes les formes d’arbres sont ainsi recherchées et repérées par le tandem forestier-charpentier de navire. On parle d’arbres « courbes et courbants », bois champêtres ou bois de futaie. (photo 4)

 

Le façonnage, le débardage :

 

Les arbres étaient abattus « à la bonne lune » et avec beaucoup de précautions. Ils étaient ensuite acheminés par attelages de bœufs munis de trinqueballes (chariot à deux roues sous lequel la bille était suspendue).

 

Le chantier naval :

 

Véritable fourmilière, la chantier naval regroupe de très nombreux métiers : charpentiers, calfats, voiliers, cordiers, poulieurs, avironniers, forgerons, peintres, …

 

Ainsi, la reconstruction de la réplique du « San Juan », baleinier du 16ème siècle, mobilisa à Passaïa (proche de Saint Sébastien) près de 300 personnes.

 

Mais, malheureusement … :

 

Après la notoriété du Moyen âge, la prospérité des 16ème et 17ème siècles, le 19ème siècle fut le début de l’effondrement de la construction navale en Pays Basque.

 

Son déclin se poursuit encore aujourd’hui.

 

 

 Un Béarn plutôt concerné par la marine de guerre

 

L’évolution des navires de guerre en bois :

 

Il y eu tout d’abord la galère, dès l'antiquité, en Méditerranée : on s'éperonne. Elle devint plus tard un bateau de course. Au 14ème siècle on inventa le canon ; après bien des péripéties, celui-ci s’imposa grâce à l’utilisation de l’alliage, au 15ème siècle, qui permit d’armer le gallion avec l'aide également du sabord (petit volet)

 

La quantité de bois :

 

Le chêne représente 90% d'un vaisseau. Un seul vaisseau de 74 canons et de 60m, utilise 2500 chênes de 150 ans ou plus, 250 résineux et autres essences.

 

Le grand mât, qui assemble 3 sapins, a une hauteur de 60m ; le bas-mât a un diamètre de 1m.

 

40km de cordage sont également nécessaires.

 

Un vaisseau de 1er rang (110 canons) réclame 4000 chênes, soit 6 à 10 000 m3 de chêne  auxquels il faut ajouter le hêtre, l’orme, l'acacia, … soit à l'époque l'équivalent de 60ha de forêt.

 

La durée de vie moyenne d’un vaisseau de guerre sous Louis XIV est 20 ans en temps de paix, et de … 8 ans en temps de guerre !

 

Les navires de guerre dans l’histoire :

 

Le premier à comprendre la nécessité d’une marine de guerre fut Richelieu, après le siège de La Rochelle. « La puissance des armes requiert que le roi soit fort sur la terre, mais aussi qu'il soit puissant sur la mer ». Il entreprit, mais sans grand succès, l’exploitation de la mâture à Sarrance, Accous et au Bager d’Oloron

 

Plus tard (1661), Colbert estima que : « La France périra, faute de bois ». Des débuts désastreux s’effectuèrent en forêts de Lhers (1688-1700) et d’Arette (1686-1700). Ce furent les premiers chemins de mâture dans les Pyrénées.

 

La mâture :

 

Mais l’épopée de la mâture commença véritablement avec l’   arrivée de Paul Marie Leroy, ingénieur au service de la mâture.

 

Une planification stricte de l’exploitation des arbres, de leur façonnage, de leur débardage, du radelage jusqu’à l’arsenal de Bayonne fut organisée. De véritables prouesses techniques furent réalisées pour la sortie des bois : chemins de 4m empierrés parfois taillés en pleine falaise, ponts en pierres de taille, lit du gave d’Oloron reprofilé, …Les conditions de travail étaient extrêmement pénibles. (photo 5)

 

Les arbres recherchés étaient le sapin (aux accroissements fins, pour la mâture), le hêtre (pour les avirons), le frêne et l’orme. Parmi les espèces arbustives, on cherchait le buis, le houx, le tilleul et la bourdaine.

 

Les exploitations furent effectuées en forêts d’ Issaux (1666-1772), de Pacq (1772-1778), du Bénou (1766-1776), de Barthèque (1783-1792), de Gabas. (photo 6)

 

Les bois de Pacq et d’ Issaux gagnaient Bayonne par radeaux depuis le port d’ Athas par le gave d’Oloron (photo 7), ceux du Bénou depuis de port d’Escot et enfin les arbres de Laruns partaient par route jusqu’au port d’ Estos.

 

Depuis Bayonne, les bois gagnaient enfin par mer les arsenaux de Rochefort et de Brest.

 

 

 

Une fin triste

 

Forte en 1763 de 40 navires de guerre, la flotte royale en comptabilisait 159 en 1780 : 79 vaisseaux et 80 frégates.

 

Les forêts béarnaises en ressortirent ruinées, aux grand mécontentement des populations locales.

 

L’arrivée du métal protégeant le bois (le “cuirassé”) mit progressivement fin à la coque en bois puis la vapeur et l’hélice anéantirent l’intérêt de la mâture. Il faut ajouter à cela plus tard l’arrivée des matériaux composites, beaucoup plus légers et durables.

 

Les tableaux de l’époque, les maquettes d’aujourd’hui et quelques navires école comme l’Hermione nous rappellent encore la beauté et l’élégance de ces bateaux de légende. (photo 8)

 

 

 

Jean Touyarou, Les Amis du Musée d’Ossau ; Octobre 2021

 

 

Il se trouve qu'actuellement, à Pasaia, près de San Sebastian, les ateliers Albaola reconstruisent à l'identique un baleinier naufragé sur les côtes de Saint Pierre et Miquelon au XVI° siècle. L'histoire de ce bateau, le San Juan est mal connue mais l'état de son épave a permis de retrouver tous les éléments nécessaires pour en redessiner les plans.

Vous pourrez en apprendre davantage en suivant ce lien : https://www.albaola.com/fr/site/processus-de-construction

En attendant, vous trouverez plus bas une seconde galerie d'images qui illustre bien les tâches des bûcherons et charpentiers confrontés à la construction des navires à cette époque.