15 septembre 2022                                    DES CARRIÈRES A NOS MAISONS

                                                                     par Jean-Pierre DUGENE

 

Jean-Pierre Dugène est un historien passionné par la Vallée d’Ossau. Il nous a déjà présenté une conférence le 22 mars 2018 sur le thème des « Marqueurs du temps en Ossau ».

Secrétaire particulièrement actif de l’Association des Amis du Musée d’Ossau, il a rédigé (et participé à la rédaction de) plusieurs ouvrages comme :

« L’ancienne abbaye laïque, histoire, architecture et décors » (2017) ;

« Ossau pastoral, toute une histoire, bornage des montagnes, abris et cabanes de bergers, les pierres gravées » (2002) ;

« Les inscriptions et les décorations de l’habitat rural Ossalois » (1986) ;

« Clefs de voûte et linteaux de portes en vallée d'Ossau » (1979).

 

Il parle cette fois de l’utilisation des matériaux dans la construction en Vallée d’Ossau : « Des carrières à nos maisons ». Cette conférence sera suivie d’une visite sur le terrain à Béost où nous pourrons juger du talent des bâtisseurs.

Aux XVe et XVIe siècles, selon Benoît Cursente (des maisons et des hommes), « dans la Vallée d’Ossau, la maison est comme peut-être nulle part ailleurs un enjeu central de la vie sociale. Cette dignité morale se traduit par un exceptionnel degré de professionnalisation des opérations de construction et donc par une exceptionnelle concentration des compétences dans les métiers du bâtiment.

La maison comporte en proportions variables, des éléments de maçonnerie et de bois. Certaines sont entièrement en bois et torchis, dans d’autres ce matériau est confiné au plancher et à la charpente.

De la somme que le client peut payer dépend le choix du matériau et la qualité du travail.

On peut demander des prestations précises, chaînages d’angles en pierre de taille, baies sur toutes les façades, couverture en ardoise, avant-toit débordant, chambres à l’étage, portes en bois de tilleul, plancher de hêtre.

Le prix d’une maison en pierre sera trois fois le prix d’une maison en bois ».

Un rapide inventaire montre que les pierres viennent surtout des carrières du bassin d’Arudy, moins souvent de Gère-Bélesten, de Louvie-Soubiron ou de Gabas.

La chaux provenait des fours à chaux déplacés au rythme de l’épuisement des ressources en bois nécessaires à la cuisson du calcaire.

Le sable était extrait du gave et des ruisseaux.

Les bardeaux et charpentes étaient prélevés dans les forêts communales selon une tolérance des communautés.

Les ardoises d’abord issues de carrières locales viendront ensuite de la région de Lourdes.

 

J. J. Cazaurang dans « l’habitat rural du Béarn » écrit : « certains murs mesuraient jusqu’à un mètre d’épaisseur. L’épaisseur est garnie de galets du gave, de pierres brutes, quelles que soient leurs tailles. Plusieurs sortes de pierres se mêlaient, des pierres à chaux, pierres calcaires de couleur grise très répandue dans la vallée ».

Loubergé écrit dans « La maison rurale en Béarn » : « les plus belles pierres sont utilisées pour les éléments nobles comme les angles ou les encadrements : ce sont les pierres d’angles et les pierres de taille ».

A partir du XVIIIe siècle, l’utilisation de la pierre, d’abord libre, le devient moins. Les constructeurs et les habitants se fournissent n’importe où, alors en mai 1829, une délibération du conseil municipal précise pour mettre fin à la cueillette : « Un abus qui s’est introduit depuis longtemps au préjudice des habitants, c’est relativement aux tailleurs de pierre et maçons… qui se permettent d’ouvrir dans les communaux des carrières de marbre dont l’extraction et le roulement des blocs préjudicie au pacage, à la fougère, aux buis et arbustes… Il convient de prendre une délibération… les tailleurs de pierre seront privés d’arracher des marbres… ou il faudra payer et réparer les dommages ».

Les carrières vont s’officialiser.

Dans le Bas-Ossau :

A Arudy : Garroc de Plou, Poeymalot, Touyaa, Mur, Prédesaboues, Darrepoudat, Saint-Michel, Au Caou, Du Dragon, Turoun de Blingue, Cailloumarou, Espalungue, Lapuyade, Lalanne,et Dérapart.

A Louvie-Juzon : Peyremale, Laas et Séris.  A Bescat : Lassègue et Poey.  A Izeste : Larroun, Caillou Marou et Escalas.  A Sainte-Colome : le Sainte-Anne.

Pour le Haut-Ossau : on ouvre des carrières de marbre à Bielle, à Gère-Bélesten, à Louvie-Soubiron, à Gabas.

Au XIXe siècle une carrière est exploitée à Miègebat surtout pour fournir la pierre aux constructions importantes des Eaux-Chaudes.

La carrière de Gabas est activée en 1836 par le toulousain Fabrèges qui utilisa d’abord Louvie-Soubiron. Gabas fournira les 32 baignoires en marbre blanc de l’établissement thermal des Eaux-Chaudes.

Le marbre blanc de Louvie-Soubiron, choisi par David d’Angers pour ses œuvres est utilisé depuis longtemps par les constructeurs du Haut-Ossau pour orner leurs maisons de cartouches historiés et pour leurs portes cochères.

La carrière de Bart à Gère-Bélesten s’enorgueillit d’avoir produit le marbre employé pour la construction du château de Laborde à Bielle de 1762 à 1764.

On retrouve le marbre de la Vallée d’Ossau dans de nombreux édifices régionaux, de la Dordogne à la Gironde en passant par les landes, le Lot et Garonne,, les Pyrénées atlantiques bien évidemment et encore la Vienne…

A l’évidence, l’emploi de la pierre domine dans la vallée et cela entraîne une professionnalisation des métiers autour de ce matériau où le marbre se place au plus haut.

Les tailleurs de pierre apprennent leur métier en apprentissage sur le tas sous la conduite d’un maître ou en compagnonnage. Arudy devient vite un centre de formation recevant des apprentis de Gironde : d ’Yvrac et Saint-Macaire où se situent des carrières souterraines, mais aussi de l’Aude, de Caunes précisément connu pour ses marbres. Il en vient également de Marseille ou des Hautes-Pyrénées comme la famille Poulou qui aménagera les quais de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure.

De Béziers vient un apprenti qui débute son tour de France. Il aura comme « professeur » le président du syndicat : « le meilleur tailleur de pierre d’Arudy ».

L’apprentissage dure de deux à trois ans et fait l’objet d’un contrat devant notaire, chaque partie étant soumise à des obligations sous peine d’amendes souvent élevées.

A ce jour, l’exploitation du marbre d’Arudy n’a plus l’ampleur des derniers siècles mais la tradition persiste et quelques carrières sont actives : carrière Sainte -Anne, carrière de Laborde de La, carrière Paloma, carrière d ’Anglas.

Comme on le verra dans la galerie d’images le marbre est d’une grande variété et selon le travail auquel il est soumis, se présente sous des aspects très différents.