19 mai 2022                          LE HAUT-ARAGON ET SES ÉGLISES MOZARABES

 

 

Pour la deuxième fois, Pierre Castillou est venu nous entretenir du Haut-Aragon. Il était déjà venu le 18 mai 2017 nous parler des Ermitages du Haut-Aragon, ce Haut-Aragon qu’il aime tant et qu’il a parcouru dans tous les sens.

 

 

 

Né à Oloron Ste Marie, Pierre Castillou est tout à la fois sculpteur, écrivain voyageur,

romancier et illustrateur d'ouvrages...

 

 Depuis plus de trente ans, Pierre Castillou présente régulièrement ses sculptures dans le grand Sud-ouest. Le Béarn possède trois de ses œuvres monumentales (La légende de St Grat et le Cinéma à Oloron Ste Marie, le Pelotari à Mont). Il est aussi illustrateur, d’abord de ses propres livres, mais aussi de ceux d’autres auteurs. Il a illustré en 2017 un ouvrage consacré aux Poilus Oloronais intitulé « Lettres à l’oncle Paul ». La même année est paru son troisième roman consacré à l’émigration en Argentine au début du XXe siècle.

  Sa passion pour l’Art roman l’a conduit sur des chemins d’art et d’histoire et sur ceux menant à Compostelle. Ces pérégrinations ont donné deux récits illustrés de dessins et d'aquarelles, suivis bientôt d'un troisième opus consacré au Chemin et à l'Histoire cathares. Ses séjours en Afrique comme membre d'une O.N.G. lui ont inspiré un roman : "L'incendie de Boukassa". C’est ensuite l’Aragon aux multiples visages qui lui a inspiré plusieurs ouvrages.
 
Bibliographie :   

Regards sur le Chemin de Compostelle (éditions Princi Nègue 2002)
La Voie d'Arles (éditions Pyrémonde 2004)

Chemin et histoire cathares (éditions Pyrémonde 2006)

L'incendie de Boukassa  ( roman, éditions L’Harmattan 2011)

 Guide de l'Aragon en 54 balades (éditions PRNG 2011) 

 Sasé, village abandonné (roman, éditions MonHélios 2013)

 Les Haut-Aragon et ses ermitages, (éditions MonHélios 2013)

 Les frères Celhay (roman éditions MonHélios 2017)

 Les barbelés de l’âme (roman, éditions MonHélios 2018)

 

 Les adhérents de Gan Mémoire Patrimoine qui ont participé au voyage des 15 et 16 mai 2014 en Aragon avaient encore en tête les images des quelques églises du Serrablo visitées : voir ICI.

  Il ne fait pas de doute que cette conférence aura permis de mieux resituer leur originalité.

 

Le Serrablo comporte un ensemble de 18 églises possédant des particularités architecturales conférant à l’ensemble un caractère unique dans l’art médiéval espagnol et européen. Ce n’est qu’en 1922 qu’elles sont qualifiées de « mozarabes » et donnent lieu depuis à d’incessantes polémiques quant à leur classement tant leurs caractéristiques peuvent être rattachées à différents courants. Ces polémiques toujours actuelles ont eu l’avantage d’éveiller l’attention des autorités et la constitution d’une association pour la sauvegarde et la restauration d’édifices qui, pour beaucoup, étaient à l’état de ruines.

Le Serrablo, autour de Sabiñanigo au pied du versant sud des Pyrénées déjà occupé à l’époque celte n’intéresse que peu les romains puis en 472 les wisigoths. A partir de 714, depuis Huesca, les troupes musulmanes soumettent la population en zone pastorale. Les habitants paient un tribut pour pratiquer leur religion en paix suivant la liturgie mozarabe de Tolède. La langue utilisée est l’arabe et non le latin. Les Mozarabes s’interdisent toute représentation humaine dans leurs églises, ne consomment pas de porc mais autorisent les mariages mixtes et la cohabitation se déroule dans l’harmonie.

Vers 920, des luttes entre chrétiens pour la possession de terres conduiront les Navarrais à coloniser le Serrablo. Dans le même temps, la reconquête allant de pair avec l’évangélisation conduit à l’édification de monastères visant la coordination dans la lutte pour chasser l’infidèle mais aussi le regroupement des populations en bourgs autour d’une église. Ces églises subissent plusieurs influences : l’art musulman dominant mais aussi l’architecture carolingienne et hispano-wisigothique présente alentour.

Au début du XIe siècle, un affaiblissement du califat de Cordoue facilite la reconquête et Sancho Ier, fort de ses succès en Aragon, abolit la liturgie mozarabe dans le Serrablo pour imposer le rite romain. Dans la seconde moitié du XIe siècle, la christianisation se poursuit, de nouvelles églises sont édifiées qui, suivant la volonté politique et la progression de la reconquête abandonnent peu à peu les caractéristiques architecturales présentes dans le Serrablo pour adopter la savoir-faire lombard en provenance de Catalogne et l’art carolingien venu de France.

On retiendra que « Mozarabe » est un terme désignant des chrétiens vivant sous domination maure.

Pour le conférencier, à partir de 920, les artisans et maîtres d’œuvre locaux ont adopté les techniques hispano-wisigothiques nouvelles apparues dans les Asturies, le León et la Castille voisine en y incorporant celles vues et apprises auprès des Arabes avec qui ils coopéraient quelquefois. Travaillant souvent de mémoire, sans maquette ni plan et surtout à moindres frais, ils n’ont exécuté qu’une pâle copie des originaux dont ils se sont inspirés. Ainsi en est-il de la frise de boudins verticaux alors qu’ils sont horizontaux dans le modillon à copeaux de l’art islamique. De même l’utilisation abâtardie de l’ alfiz ne donne que l’illusion optique.

Selon Antonio Durán Gudiol l’architecture mozarabe comporte quatre périodes :

-Le premier mozarabe entre 940 et 950 : nef unique terminée en abside rectangulaire et sans alfiz comme San Bartolomé de Gavín.

-Le deuxième mozarabe de 950 à l’An mil : arc outrepassé ou en fer à cheval, alfiz en retrait, clochers tours, charpentes en bois frises de boudins inspirées des modillons à copeaux musulmans, arcatures aveugles s’appuyant sur des lésènes comme à San Juan de Busa, Lárrede ou Santa María de Gavín…

-Le troisième mozarabe de l’An mil à 1025 : abandon de l’arc outrepassé et de l’ alfiz, maintien des frises de boudins, des arcatures aveugles, des clochers tours, des charpentes en bois à Ordovés, Lasieso…

-Le quatrième mozarabe après 1025 : incorporation de l’art lombard venu de Catalogne, les arcatures aveugles raccourcissent.

Au-delà de 1050, le quotidien des mozarabes du Serrablo se dégrade. Victimes de répression suite aux escarmouches entre chrétiens et musulmans, ils se replient dans les montagnes. Tandis que la progression chrétienne se déploie vers le sud, l’influence arabe et hispano-wisigothique décline et disparaît dans l’architecture des églises du Serrablo.

 

Pour aller plus loin : « Le Haut-Aragon et ses Églises mozarabes » de Pierre Castillou Ed. MonHélios. Cet ouvrage constitue au-delà de son intérêt documentaire un excellent guide pour visiter ces églises

 

La galerie d’images ci-après présente des illustrations du livre de Pierre Castillou et des photos GMP.