2 juin 2022

                                                             BILLERE COSMOPOLITE

Caroline Barrow a donné rendez-vous aux 15 visiteurs de GMP devant la petite église Saint-Laurent juchée sur le coteau de Billère dominant la plaine du gave de Pau. A l’intérieur de l’édifice, elle a rappelé comment du milieu du XIXe siècle au début du XXe, le Béarn et la ville de Pau ont connu une extraordinaire affluence étrangère, particulièrement britannique et américaine.

 La guide épicurieuse avait lors de précédentes visites expliqué comment la région avait été élue par nombre de fortunés souhaitant passer l’hiver sous un climat tempéré et susceptible d’améliorer leur santé. Le compte rendu de la visite de « Pau ville et vie saines » est ICI

 Peu de temps après, au cours de la visite « Pau ville anglaise » elle nous a conduits au quartier Trespoey de Pau où les riches hivernants ont fait construire de magnifiques et somptueuses villas : voir ICI.

Une visite consacrée au seul Palais Sorrento construit grâce à la fortune d’une riche américaine avait complété la présentation de ces constructions luxueuses à l’est de Pau : voir ICI.

 Cette population aisée, ne travaillant pas pendant son séjour béarnais avait besoin de loisirs et tout était mis en œuvre pour satisfaire les souhaits d’animations sportives et de loisirs. C’est ainsi que le golf fut importé et créé pour la première fois sur le continent : voir ICI.

De même, les chasses au renard étaient organisées entre autres distractions par le cercle anglais : voir ICI.

 Enfin, le spirituel ne pouvait être ignoré et l’église Saint-Andrew est construite en 1888 : voir ICI.

 

 La visite d’aujourd’hui s’inscrit dans la suite des présentations déjà réalisées.

 Il se trouve que Billère est attenant à Pau à l’ouest et juchée sur le même plateau dominant le gave. Il était tout à fait logique que les amateurs de beaux paysages recherchent ici comme vers l’est de Pau, les abords du plateau donnant de splendides vues sur les Pyrénées.

 

 

 

Avant d’aller vers des villas remarquables, les visiteurs s’attardent un instant dans la petite église Saint-Laurent. Le regard est immédiatement porté dans l’axe du chœur sur le magnifique vitrail qui illustre un passage de l’Apocalypse de Jean. Jésus y est vêtu d’un manteau rouge sur sa tunique blanche.

 Ce vitrail, d’une douce luminosité, offert en 1901 par Misses Hutton à la mémoire de Jean Caubarrère, leur intendant, en reconnaissance des services rendus a été réalisé par le maître-verrier anglais Arthur Louis Moore dont la signature et l’adresse figurent en bas à droite de l’œuvre.

 

L’autre particularité intéressante de cet édifice est sonore. En effet, la cloche a été offerte à l’église par le Baron d’Este dont nous découvrons la tombe au cimetière attenant à l’église.

 

 Personnage emblématique, le Baron d’Este, né à Paris en 1844, a marqué durablement le passé anglais de Pau et de son agglomération.  En 1874, il épouse Alice Drake, petite fille de Robert Glasgow qui acquit le Château de Billère en 1830, et s’installe dans ce domaine auquel il donnera d’ailleurs son nom.  Il a appartenu à tous les clubs et sociétés notables de l’époque dont le Pau Hunt, dont il fut Master, et le Cercle anglais de Pau, institution phare de l’époque, dont il fut Président de 1913 à 1925.

 Dans le domaine du château, le Baron d’Este organise régulièrement de joyeux dîners, des garden-parties inoubliables et d’amusants gymkhanas à cheval.
Les fêtes hippiques, si elles doivent agrémenter les loisirs de la colonie anglaise sont également mises en place pour venir en aide aux nécessiteux : les fonds collectés vont au Bureau de Bienfaisance Libre créé en 1880, aux Petites Sœurs des Pauvres et aux démunis de Billère. Les participants paient leur entrée au domaine, la fleur à leur boutonnière et les programmes illustrés. Ils ont également appris que les gracieuses marchandes ne rendent jamais la monnaie !

 Dans les chroniques mondaines des journaux français ou anglo-saxons, on salue les rendez-vous donnés au Château de Billère, des plus farfelus aux plus distingués :

 Pour la première fois, en 1886, les Menagery-Race font leur apparition en France. Le Château de Billère les accueille. Les Sportmen à pied doivent pousser un animal sur 150 mètres et le diriger avec un ruban : canards, moutons, dindons, chèvres, veaux, lapins et poules font leur entrée au Château ! Plus sérieusement, l’ouverture de la saison des chasses se fait traditionnellement au Château où le Pau Fox Hunt se réunit et se retrouve le soir pour la grande réception, le Hunt Dinner.

 

 

 

 

Une autre sépulture remarquable est dans l’angle nord-est du cimetière. C’est celle des Misses Hutton. En marbre de Carrare, majestueuse, elle est signée Gabard. Là, Caroline Barrow présente quelques dessins extraits des carnets du vicomte de Vaufreland illustrant la vie et les activités de ces familles en Béarn : équitation, chasse au renard, tennis, dîners, jeux, bals et réceptions…

 

 

Du cimetière, on aperçoit un clocheton dominant la villa Montjoly. Elle ne se visite pas aussi, Caroline Barrow se dirige vers les villas les plus caractéristiques de cette époque.

 

Les premières constructions, ici comme à l’est de Pau ont occupé de très grands domaines qui seront par la suite morcelés pour permettre d’accroitre le nombre de villas.

 

La villa Caplanne est unique en son genre. Elle est l’une des plus anciennes villas construites par un « hivernant ». Son style fait très irrésistiblement penser à un manoir irlandais alors qu’en réalité il devait probablement s’agir au départ d’une assez importante maison béarnaise, à toit d’ardoises élevé, dont les bords se relèvent en « coyau ». Mais, on y a ajouté, au lieu des lucarnes à toit arrondi de la campagne béarnaise, de petites tourelles qui hérissent le toit, et dont deux, l’une en façade, l’autre sur le côté, sont plus importantes et garnies de fenêtres à vitraux sur le pourtour. Des baies vitrées à petits carreaux et boiseries sombres sur la façade complètent l’ensemble qui a certainement été voulu par Thomas Forster pour lui rappeler son pays natal. Un très beau parc entourait la maison, des écuries, des dépendances de toutes sortes permettaient de subvenir aux besoins de toute la maisonnée : maîtres et domestiques, chevaux et chiens. Il reste encore une jolie maison de gardiens simple et rustique nichée contre la grande demeure. Le parc a été loti et la maison vendue par appartements, mais son aspect pittoresque demeure.

 

 

Si le Club House que nous avions visité appartient au style chalet anglo-normand très bien adapté aux vastes « greens » du Golf et très évocateur des golfs insulaires, c’est le genre « manoir » qui a eu sur le plateau le plus de succès. Le meilleur exemple en est la villa Innisfaïl, construction simple mais flanquée d’une tour ronde chaperonnée d’un toit pointu, qui l’introduit dans cette catégorie. La villa Innisfaïl était la maison d’enfance du poète béarnais Paul-Jean Toulet connu entre autres pour ses contre rimes : voir ICI.

 A deux pas, la maison du Lys présente quelques boiseries en façade, mais s’enorgueillit d’une belle tour carrée au toit pyramidal qui lui donne incontestablement des allures de manoir. De même, la villa des Tours à côté d ’Innisfaïl présente aussi trois tours pointues en flanquement.

 La villa Béatrix, très recherchée dans sa conception et très compliquée dans son décor, relève du style italien (toit de tuiles à faible pente et frontons orgueilleux dominant certaines ouvertures) et tient beaucoup à son siècle par ses stucs, ses balcons aux lourd décor de fonte et le soubassement en pierres meulières qui rompt l’harmonie des façades blanches.

 

 La villa Hutton a été construite vers 1860 sur un terrain acheté en 1857 par un Irlandais, Richard Power Lalor, qui, avec son épouse américaine, Sarah Gordon, a construit la villa d’origine. En 1867, Benjamin Henry Hutton et son épouse, Ann Gordon Hunter, achètent la maison et les terres. Ils l’auraient rebaptisée villa Bilhère, à l’anglaise. Annie décède en 1879 et Benjamin en 1884 aux États-Unis, mais la villa reste dans la même famille jusqu’en 1949, date du décès d’Annie (Anne, Rosalie), leur petite-fille. Elle a compté jusqu'à quarante domestiques et cinquante chevaux pour les trois ou quatre chasses hebdomadaires du Pau Hunt. Les carnets du vicomte de Vaufreland fourmillent d’anecdotes sur cette famille dont le père mettait toujours des gants pour jouer aux cartes car il avait promis de ne plus y toucher ou sur ses filles Jenny et Annie, cette dernière excellente cavalière étant capable d’affronter les plus terribles obstacles.  L’extrait de ces carnets placé ci-après montre bien l’ambiance qui régnait dans cette villa. D’autres extraits placés dans la galerie d’image témoignent de la vie menée à Pau à cette époque.

 

 

 

On ne peut pas parler d’un type de maisons caractéristique des résidents anglo-américains. Cette floraison abondante de styles est la marque de l’époque beaucoup plus que celle d’une catégorie sociale ou d’une nationalité. La mode au XIXème siècle, après avoir été influencée par l’antiquité à la mode palladienne, et le gothique cher aux romantiques, devient, par l’apport des sciences, de l’archéologie, par la facilité des voyages, très éclectique. Ce goût est européen et les villas anglaises de Pau ne font pas exception, à la règle générale, d’où cette variété de villas de styles à la fois très différents, et en même temps très caractéristiques du XIXème siècle.

 Il est à noter à travers ces inspirations stylistiques des traits communs à toutes les villas, qu’elles soient anglaises ou non.

 Le souci des hivernants de profiter au maximum du soleil du Midi et du paysage pyrénéen même quand la température ne permet pas de sortir apparaît dans les constructions elles-mêmes (sachant qu’à l’époque Pau est alors une station climatique pour tuberculeux). En ce sens, le seul équipement qui semble devoir être particulier aux maisons anglaises, encore qu’on le retrouve dans quelques maisons françaises, est le bow-window, symbole de leur recherche de la lumière et souvenir de leur patrie. De nombreuses et larges fenêtres viennent s’ajouter aux bow-windows, montrant bien l’importance que les résidents accordaient à ce climat, à ce soleil qu’ils venaient chercher de loin.

 Enfin, autre particularité de ces villas : les jardins. Selon les témoignages de l’époque, « Les Anglais faisaient leur parc avant de commencer leur maison ». Nous savons que la mode des parcs et jardins « à l’anglaise » était déjà arrivée en France, mais elle ne s’y était pas encore épanouie ou vulgarisée. Pas une villa anglo-américaine qui ne soit plantée d’arbres majestueux et d’arbres à fleurs, proches de la maison sans toutefois l’ombrager de trop près pour ne pas la priver de lumière ou causer un danger en cas de chute d’arbre.

 

 Pour aller plus loin : « Chroniques de la vie mondaine des Basses-Pyrénées » carnets du vicomte de Vaufreland. Éditions Covedi.

                                    

  Au terme de cette visite fort intéressante, on ne peut que regretter de constater le faible nombre de participants. GMP cherche à proposer des activités attrayantes. Celle-ci l’était particulièrement !